• Chapitre IV Arkham

    Elle était en avance sur l’heure prévue par le Docteur Bartholomew, le directeur général de l’hôpital. Assise au volant de sa voiture, elle regardait le vieux bâtiment avec crainte. « Mon Dieu ! Comment peut-on soigner des gens dans un endroit pareil ? ».

         Arkham était une vieille bâtisse victorienne à en juger par l’imposante façade à colonnade du bâtiment administratif, juchée sur une colline. Gris et immense, l’hôpital lui fit l’effet d’une menace tacite, un asile venu d’un autre temps, davantage conçu pour cacher que pour soigner. Harleen frissonna dans l’habitacle, tandis qu’une pluie drue s’abattait à n’en plus finir. Elle regarda sa montre : plus que vingt minutes avant son rendez-vous. Elle soupira d’impatience et parcourut rapidement le parking des yeux. Il était rare que le personnel vienne autrement qu’en bus à Arkham, d’après ce que la secrétaire lui avait appris au téléphone. Une ligne spéciale avait été mise en place depuis une trentaine d’années, après qu’un prisonnier de l’aile nord, la partie réservée à la prison, se fut échappé pour tenter de faire exploser la ville.

     

        Il s’était évadé en prenant un médecin en otage et s’était servi de son véhicule pour s’enfuir. Après avoir été stoppé in extremis par la police, la ville avait pris la décision de sécuriser Arkham au maximum. L’hôpital, déjà isolé à une dizaine de kilomètres en dehors de Gotham, avait été doté d’impressionnants dispositifs de sécurité. De gigantesques murs d’enceinte enfermaient l’austère édifice. L’ancien parc avait été rasé et recouvert d’une couche de béton et de terre battue. Le parking, où Harleen était garé, était surveillé en permanence par trois gardiens et clôturé. Partout tout était gris et lugubre. A l’image de la ville, pensa la jeune femme. Gotham n’avait rien à voir avec Denver. Ici toutes les couleurs semblaient se fondre entre le gris et le noir et donnaient l’impression d’une saleté tenace. Cette opacité rendait l’atmosphère pesante, lourde et terne. Toute la chaleur  et les rayons du soleil s’évaporaient avant d’atteindre le sol, tant et si bien qu’on avait l’impression d’évoluer dans une nuit perpétuelle même en plein jour. Cela faisait une semaine maintenant qu’elle avait emménagé ici.

     

       En dépit de l’allure maussade de la ville, Harleen n’arrivait  toujours pas à réaliser sa chance. Elle allait travailler à Arkham. Elle allait intégrer l’unité de pédopsychiatrie du Docteur Elliott Mathews, l’un des plus éminents pédopsychiatres du pays. Totalement absorbée dans ses pensées, elle sursauta quand elle entendit subitement des coups frappés à sa vitre :

     

    « -Madame…bonjour…je suis le docteur Harleen Quinzel, dit-elle précipitamment d’une voix érayée en moulinant frénétiquement la manivelle pour abaisser la vitre de la voiture, j’ai rendez-vous avec le Docteur Bartholomew. »

     

       La petite femme en face d’elle afficha une expression de surprise qui lui donna l’air ridicule. Petite, boulotte, la cinquantaine, elle avait un visage rond à la bienveillance douteuse et portait un imperméable rouge au-dessus de sa tenue.

     

    « - Ah oui bien sûr, pépia-telle, Miss Quinzel, nous vous attendions, je suis Barbara McFord, Le chef du service infirmier responsable des soins, venez, je vais vous conduire à l’intérieur. Le Docteur Bartholomew m’a chargé de vous faire visiter l’hôpital. Il a malheureusement eu un empêchement et regrette ne pas pouvoir vous accueillir lui-même. »

     

       Un peu déçue de ne pas rencontrer immédiatement le directeur général, la jeune femme suivit l’infirmière en arborant une mine impassible.  Arrivée dans le hall grisâtre du bâtiment administratif, Harleen ne prêta aucune attention aux ronchonnements de l’infirmière, qui se dépêtrait tant bien que mal de son manteau trempé. Elle retira sa veste et prit le temps d’observer le mobilier sommaire d’un vert terne, hérité d’une autre époque, dans l’espace d’accueil réservé au public. Le hoquet de surprise de sa guide arrêta son examen. Tournant la tête vers elle, Harleen tiqua quant à la manière dont l’infirmière la détailla :

     « - Vous êtes jeune ! S’étonna-t-elle ahurie.

    -         - Oui, concéda Harleen, j’ai quelques années d’avance.

     

    - - Hum ! Ahana l’infirmière avant de se racler la gorge, oui…bon…commençons la visite, voulez-vous ? »

     

        Barbara lui montra l’ensemble des bureaux des responsables ainsi que les espaces dédiés aux personnels. Elle lui confia son badge et les clés de son casier, non sans lui énoncer d’une voix morne la liste des objets interdits dans l’établissement. « Et elle s’imagine quoi ? Que je vais débarquer lundi matin avec une scie à métaux ? » Pesta Harleen mentalement. La jeune femme garda néanmoins une expression affable, hochant la tête pour donner l’illusion que l’énonciation du règlement l’intéressait.  Elles se dirigèrent, une fois qu’Harleen eût revêtu sa blouse et son badge, vers l’ascenseur.

     

    « - Les différentes ailes de l’hôpital d’Arkham sont dévolues à des secteurs particuliers, continuait Barbara sur un ton monocorde, l’aile Sud, dans laquelle vous travaillerez est réservée à nos patients les plus jeunes. L’aile Est, est dévolue à la recherche pharmaceutique, sous la conduite du Professeur Crane, l’aile Ouest est réservée à nos patients « ordinaires ».

     

    -       -Ordinaires ? reprit Harleen perplexe, en se demandant quel type de patient pouvait être qualifié d’ « ordinaire » dans un hôpital psychiatrique. Qu’entendez-vous par « ordinaire » ?

     

    -   - Ceux que l’on n’enferme pas dans l’aile Nord, rétorqua abruptement l’infirmière avant de reprendre son monologue. Chaque secteur obéit à des règles précises en matière d’emplois du temps et de sécurité. Tous les secteurs sont verrouillés le soir à vingt heures après le repas. Si vous vous déplacez d’une aile à l’autre vous devrez entrer un code pour faire fonctionner les ascenseurs et les portes automatiques. Chaque secteur a le sien. Pour l’aile Sud, vous devrez vous servir de votre badge magnétique pour accéder aux matériels et aux salles de soins, dit-elle en montrant du doigt la petite carte qu’Harleen avait épinglée à sa blouse,  sachez que chaque cellule est verrouillée à l’aide d’un code qu’il vous faudra demander aux agents de sécurité si vous voulez entrer dans la chambre d’un prisonnier. »

     

       Harleen s’attendait à être confrontée à des mesures drastiques, mais elle ne put s’empêcher de les trouver excessives. Son visage trahit-il ses pensées ? Sans doute car, Barbara se tût un instant pour l’observer avant de lancer sèchement :

     

       « - Votre bureau se trouve dans l’aile Nord, qui est notre quartier de haute-sécurité. Dans ce secteur, bon nombre des patients sont des criminels, parmi les plus dangereux du pays. Ne vous imaginer pas que parce que vous travaillerez dans l’aile Sud vous serez à l’abri. La plupart des patients qui entrent à Arkham n’en ressortent jamais. En grandissant, les enfants de l’aile Sud finissent immanquablement dans l’aile Nord. Ne commettez pas l’erreur de croire que les enfants sont les moins dangereux : si vous leur en donnez l’occasion, ils n’hésiteront pas une seule seconde à vous faire du mal. »

     

      Harleen ne sut comment elle parvînt à garder contenance. Le regard aigu que lui adressait l’infirmière, lui fit l’effet d’une menace tacite. Elle déglutit péniblement,  et s’absorba dans la contemplation de ses pieds. Cette bonne femme lui déplaisait.

     

       « - Bien qu’affectée en pédopsychiatrique auprès du Docteur Matthews, le docteur Bartholomew a insisté pour que vous l’assistiez dans son travail d’organisation. Sachez donc que l’aile Nord est composée de cinq étages. Au cinquième se trouve les bureaux des médecins  et le matériel. Les prisonniers sont répartis sur les quatre étages restants. Les plus dangereux sont au rez-de-chaussée et au premier étage. Si vous devez vous y rendre, n’y allez jamais seule. Nous avons un nombre conséquent d’agents de sécurité à Arkham qui sont ici pour assurer notre protection à tous. Le responsable de la sécurité est le sergent Lyle Bolton. Il vous expliquera précisément les consignes à respecter, en voyant la mine inquiète d’Harleen l’infirmière se radoucit, Miss Quinzel, je comprends que tout ceci vous paraisse impressionnant, mais vous devez comprendre que ses règles doivent absolument être respectées, il peut en aller de votre vie.

     

    -        -Je comprends, chuchota Harleen

     

    -       - En êtes-vous sûre Miss ? Votre prédécesseur a cru pouvoir s’affranchir du règlement et l’issue a été tragique.

     

    -       - Que lui est-il arrivé ? S’enquit Harleen.

     

    -       - Il s’est suicidé, » lança froidement Barbara.

     

     Il y eût une secousse, puis les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un couloir désolé où tout sens de l’hygiène avait été oublié. Barbara s’engagea avec indifférence dans un couloir interminable et Harleen la suivit déboussolée. De part et d’autre de l’allée, elle vit des portes blindées qui ne parvenaient pas à retenir les cris et les rires déments des pensionnaires. Il flottait dans l’air une odeur épouvantable. Il était difficile de croire qu’on était dans un hôpital, tant la saleté était omniprésente.

     

        Horrifiée que des êtres humains puissent vivre dans de telles conditions, ébahie par la mine blasée de l’infirmière, la jeune femme, avança prudemment sous les sifflets appréciateurs et les propos grivois des rares patients qui la suivaient des yeux. Mortifiée par leur propos, Harleen baissa la tête et accéléra le pas. Au sol, deux bandes jaunes couraient à environ cinquante centimètres des portes et longeaient tout le couloir. Surprenant le regard de la jeune fille, Barbara éclaira sa lanterne :

     

    « - Suite à la mort du Professeur Meyer, de nouvelles prédispositions de sécurité ont été prises. Ces lignes que vous voyez, délimitent l’espace à ne pas franchir à moins d’être accompagné.

     

    -        -Je vois, répondit Harleen, mais comment suis-je censée faire mon travail si je ne peux pas m’approcher du patient ?

     

    -        - Précisez, lança Barbara en fronçant les sourcils.

     

    -      - Eh bien, il est particulièrement difficile d’entamer une thérapie avec un patient si on ne peut pas l’approcher. »

     

    -Arrivée au bout du couloir, l’infirmière s’arrêta net. Harleen était-elle allée trop loin ? Elle resta interdite quand Barbara se tourna vers elle et la jaugea :

     

    « - Miss Quinzel, soyons honnêtes, votre job consiste à faire les ordonnances dont mes équipes et celles du sergent Bolton ont besoin pour que les fous furieux qui sont enfermés ici, y restent. Vous êtes là, pour faire en sorte qu’ils se tiennent tranquilles. Vos travaux de recherche bénéficieront de la renommée d’Arkham, mais vous ferez comme tous ceux qui sont passés ici avant vous et qui ont signé un best-seller : vous observerez vos monstres de loin et extrapolerez au besoin ».

     

      Si Harleen ne se savait pas bien réveillée, elle aurait sans doute pensé qu’elle était en plein cauchemar.

     

    « - Ah voici Lyle ! S’exclama Barbara visiblement soulagée, et bien Miss Quinzel, je vous souhaite bonne chance et bon courage à Arkham ! »

     

       Puis bien vite, Harleen la vit disparaître au détour d’un couloir tandis qu’un homme d’une stature impressionnante s’avançait lentement vers elle.  Il n’eût aucun geste, aucun signe qui aurait dénoté une quelconque envie de lui souhaiter la bienvenue. Il la regarda furtivement avant de se mettre en route, un air profondément ennuyé se lisant sur sa figure morne. La jeune psychiatre remarqua soudain, le silence pesant qui envahit l’espace à mesure qu’ils avançaient. A croire que les prisonniers étaient terrifiés, là où dix minutes plus tôt, ils avaient fait un raffut épouvantable.

     

       Ils passèrent devant un ascenseur et s’engouffrèrent dans les escaliers. Harleen suivait aveuglément le sergent n’ayant aucun plus aucun repère. Elle savait qu’elle était dans l’aile Nord mais où précisément, mystère.

     

       Barbara lui avait mentionné qu’un plan lui serait fourni par Lyle, mais vu le peu d’enthousiasme de ce-dernier, elle n’osa pas émettre le moindre son. Arkham avait été conçu comme un labyrinthe, il lui faudrait pas mal de temps avant qu’elle ne s’y repère.

     

      Lyle continuait son parcours tranquillement devant elle. Elle le suivait, un bon mètre derrière ses pas de géants. Partout où il passait, le silence l’accompagnait. Il était certainement impoli de rester aussi longtemps muette, après un long moment d’hésitation, Harleen inspira profondément et lança d’une voix qu’elle espérait enjouée :

     

      « - Je ne me suis pas présentée, je suis la nouvelle psychiatre, Harleen Quinzel.

     

    -         -Bolton. » Répondit-il sans lui accorder un regard

     

      La conversation s’arrêta là. Le mot « menaçant » s’imprima dans l’esprit de la jeune femme. Le sergent avait une carrure impressionnante et tout en lui dénotait le goût de se battre. Arrivé devant un énième ascenseur, il se tourna soudain vers elle et étudia sans vergogne la jeune psychiatre.  Ses yeux noirs s’attardèrent sur le visage fin aux traits délicats et harmonieux, sur la  peau laiteuse et les yeux noirs en amande cerclés de longs cils. Des yeux où l’on devinait la douceur, la patience et quelque chose d’autre. Quelque chose de familier mais qu’il ne sut définir. Son regard quitta à regret les lèvres roses et pleines pour s’attarder sur la silhouette menue. Elle lui fit irrésistiblement penser à un oiseau tombé du nid.

     

    « - Vous tiendrez pas deux mois Miss Quinzel, Arkham n’est pas fait pour les petites poupées fragiles dans votre genre. »

     

       Offusquée par cette grosse brute, Harleen se sentit rougir de colère et eût soudain envie de le gifler. Mais les larges épaules du maton eurent un merveilleux effet dissuasif.

     

       Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent alors sur les bureaux dont Barbara lui avaient parlé, sans qu’elle sache comment Diable elle était arrivée là. Bolton la conduisit jusqu’au sien, le seul disponible dans l’aile Nord. Il lui donna son trousseau de clés, la liste des codes et le fameux plan, avant de repartir, non sans provoquer un soupir de soulagement de la jeune femme. Harleen batailla quelques temps avec son trousseau avant de trouver la clé du bureau et ouvrit la porte. La pièce était petite, mais aménager avec soin. Elle entra et pivota sur elle-même avant de s’arrêter net, choquée. Là, sur le mur, on pouvait voir écrit dans un rouge vif :

     

                                                «  MouRIRE est bon pour la santé ! »

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