• Chapitre V Le fils bien-aimé

    Dieu se sentit harassé par ce voyage qui ne semblait pas devoir finir. Pendant un moment il considéra que la sanction infligée à ces traîtres était certainement cruelle. Beaucoup à présent, à force d’être enfermés, étaient devenus fous. Lilith, Azazel, Astaroth, Asmodeus… il n’y avait plus la moindre chance de les ramener du côté de la lumière. Corrompus jusqu’à l’âme, ils paraissaient ne plus jamais devoir retrouver un semblant de raison. Etait-ce là leur destin ? Se demanda Dieu en quittant les ruines du palais. Etaient-ils perdus à jamais ? Ses enfants si doués, aux talents innombrables, qui avaient par le passé accomplis tant de merveilles,  qui  avaient brillé d’un éclat sans pareil. La dure réalité avait un goût d’amertume quand Dieu comprit qu’il devait renoncer à vouloir les sauver. Il devrait se satisfaire d’un éclat plus pâle. D’une douceur amère que laissait dans son cœur la nostalgie du temps passé, l’écho d’un mal inguérissable. Aucun autre ange ne pouvait atteindre désormais, la puissance, la force et la grandeur que les Aînés possédaient. Les regrets manquèrent de lui donner le vertige et un sanglot se forma dans sa gorge. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il qu’ils en soient arrivés là ?

    Dieu avança et s’éloigna de la plaine grisâtre où les échos d’une dispute entre Astaroth et Samaël lui parvinrent comme dans un songe. Il ne pouvait pas les sauver. Il ne pouvait pas les ramener avec lui. Il était trop tard mais c’était une terrible souffrance que de l’admettre, songea-t-il en dépassant les collines noirâtres et la présence impassible de ce qu’il restait d’Astarté à jamais figée. Il chassa ses pensées alors que l’écho lointain de leurs voix s’estompait. Dieu s’engagea dans les montagnes, et prit un chemin tortueux, parsemé de pierres ponces, aiguisées comme autant de lames. Dans sa colère, au moment de la construction de cet Enfer où devait expier ses enfants ingrats, il avait fait en sorte que le sol ne fut recouvert que de cendres brûlantes et de pierres tranchantes. Tant et si bien que l’endroit, déjà inhospitalier, rendait l’exploration de ces montagnes impossibles. Elles devaient selon ses vœux se dérober à quiconque autre lui-même osait prétendre les braver. Piégés dans la plaine, les Anges Déchus ressassaient, maintes batailles et révoltes vaines qui ne devaient conduire à rien d’autre qu’une folie malsaine.

    Ce désir si profondément ancré, Dieu n’osait se l’avouer à lui-même. Tiraillé entre l’amour que lui inspirait ses enfants et son devoir, il avait laissé Raphaël et Mickaël le persuader de concrétiser une dernière volonté. Celle-ci était peut-être aujourd’hui à ses yeux la plus cruelle, mais en dépit de tout l’amour qui l’animait pour sa chair, il la savait indispensable. Alors que le sentier de la montagne s’arrêtait et qu’une nouvelle plaine, baignée de Ténèbres l’entourait, Dieu poussa un profond soupir. Personne n’avait remis les pieds ici. Personne ne savait où il se trouvait. Parce que cet endroit, au cœur des Enfers était invisible à tous. Tel qu’il l’avait souhaité au moment de tous les condamner. Dieu avait désiré que jamais plus, les Déchus ne purent retrouver leur chef. Et sa volonté fut exaucée, tant et si bien qu’il fût le seul à savoir où résidait le chef de cette ancienne armée.

    Ce fils rebelle, qui fut peut-être pourtant le plus fidèle. Cet enfant au cœur assombri, qu’il avait chéri plus que tout. Le premier de ses fils, le premier des Aînés à l’aura majestueuse dont la beauté demeurait inégalée. Celui qui était né de son sang et qui lui avait bâti les plus beaux royaumes. Son fils, aujourd’hui aigri et amer, qu’il avait lui-même enchaîné, qu’il avait lui-même mutilé et dont la souffrance ne connaîtrait de fin que quand sa peine se serait atténuée. Dieu laissa son regard parcourir la plaine noire et réprima un frisson en voyant l’abîme se dessiner au loin. Il douta un instant du bien-fondé de ce voyage et dût faire appel à tout son courage pour s’engager sur le chemin. Il descendit avec lenteur du haut des collines. Parcourant avec précaution ce lieu dépourvu de toute lumière. Celle-ci était trop facilement traîtresse et pouvait retourner vers son maître. Il en était le seul porteur et le seul à pouvoir la contrôler. Elle lui donnait de la force quand Dieu le voulait affamé. Le châtiment divin d’une révolte contre lui, mené par cet enfant orgueilleux dont il n’aurait jamais cru qu’il eût  pu le trahir. Et il l’avait fait pourtant, se rappela Dieu en plissant les yeux pour traverser les quelques mètres qui le séparaient des abysses. Il avait rassemblé avec lui quasiment tous les Aînés, les entraînant loin de l’Eden pour frayer à travers les mondes et répandre la désolation et la misère. Il avait jeté une partie de l’univers dans un éternel hiver.

    Il contempla le trou béant au cœur de cette nouvelle plaine glacée. La chaleur, la lumière, la couleur, tout devait lui être retiré. C’était là que jadis, il l’avait mis à bas, le chassant de l’Eden où il prétendait être roi. Le gouffre abyssal, arrachèrent des frissons d’effroi à ce père, dépourvu dans cette contemplation sinistre, de son aura. Il n’était plus ce Dieu qui commandait à l’univers, mais seulement un être meurtri par la blessure de son fils ingrat. Ses yeux bleus se réduisirent à deux fentes minces, alors qu’il parcourait l’obscurité. Çà et là, il remarqua la présence des ruines de colonnades élégantes, de vitres finement travaillées. Tout le luxe et la délicatesse de ce qui avait autrefois été son palais. Il n’avait pourtant plus peur, au moment de plonger dans l’abîme. Il ne redoutait que son cœur et ses vieilles faiblesses, cette inclination face au fils tant aimé, auquel il en voulait encore.

    Il descendit les marches raides et couvertes de cette cendre tenace, d’un gris consternant, seules vestiges d’un feu qui avait brûlé pendant des siècles pour punir ces enfants. Au bout de cet escalier interminable s’étendait un long couloir en contrebas duquel, s’écoulait sans un bruit, un fleuve noir. Son eau salée venait de toutes les larmes versées depuis des millénaires. Toutes celles qui hantaient le cœur de Lucifer. Sans l’ombre d’un doute, Dieu poursuivit son chemin, se demandant comment un être si cruel, pouvait cependant aimer à ce point. Suivant à rebours l’onde calme et noire, il remontait la source d’une éternité de désespoir. Dans le ventre de la terre qui était à présent son royaume, Lucifer ne commandait plus qu’aux ombres. Le père dans le cœur de Dieu s’émeut de voir enfin son fils, après une marche sans fin.

    Lucifer était là, lui tournant le dos, son corps à demi-nu parcouru de blessures. Dieu frissonna en se rappelant comment il les avait reçues. Après sa terrible défaite qui lui avait fait perdre presque tous les siens, Lucifer vaincu était à genoux, devant lui. Tous les Aînés avaient déposé les armes. Alors Mickaël, secondé par Raphaël, avaient exécuté le terrible châtiment. Dépossédé de son armure, Lucifer n’en restait pas moins orgueilleux et les défiait tous du regard, ses prunelles vertes brillantes d’une lueur meurtrière, alors qu’il était en réalité si faible. Agacé de le voir si fier, Dieu avait ordonné.  Il ferma les yeux et grimaça, comment avait-il pu ordonner cela ? Quel genre de père était-il ? Mais ses fils pourtant, n’avaient pas osé bouger. Ce fut lui enfin qui se leva et s’avança vers le prince de ce monde qu’il châtia de sa main. Son cœur lui parut peser bien lourd alors qu’il se forçait à regarder le fruit de sa volonté. Contrairement à ses frères, les ailes immaculées de Lucifer n’avait pas été tranchée par le Feu Divin, ce qui était en soit une douleur insupportable…non les siennes, il les avait…

    -          "-Arrachées à mains nues, commenta la voix mélodieuse sur un ton glacé. Bonjour Père, dit-il toujours le dos tourné.

    -          -Bonjour mon fils", répondit Dieu d’une voix atone.

    Son regard parcouru rapidement les chaînes qui maintenaient Lucifer prisonnier. Enroulées autour de ses poignets, une pique perçait de stigmates l’intérieur de ses mains. Chaque chaîne étant reliée à un pan de la montagne, les bras blancs à la musculature parfaite, s’en trouvait écartés. A genoux sur une dalle, son pagne sale tâché de son sang, Lucifer avait le corps recouvert d’une chaîne plus petite aux pointes acérées qui le transperçaient et le faisait saigner. Ces pointes s’enfonçant plus profondément à chaque tentative de mouvements. Avec un frisson d’horreur, Dieu déglutit et contourna la terrasse ronde, la dalle où gisait le plus grand des Déchus étant entourée de cette eau noire et salée qui avait accompagné son voyage. Il se plaça face à ce fils qu’il n’avait plus vu depuis des millénaires. Il fût alors frapper par l’expression de son visage. Contrairement aux autres, Lucifer n’avait rien perdu de son aura angélique, elle n’était pas terni par la folie, rien ne semblait ici pouvoir l’atteindre. Il était toujours le même, toujours aussi beau. Et pourtant…la monstruosité pouvait prendre bien des visages. La sienne en revanche ne semblait faite que d’une profonde mélancolie. Les sillons des larmes versées depuis tout ce temps se dessinaient nettement sur ces joues. Ses yeux verts autrefois pétillants de malice et de douceur étaient à présent d’une profonde tristesse mêlée à une indéfectible rancœur. La tête penché en avant, il laissa sa longue chevelure brune tomber de part et d’autres de son visage long au profil aristocratique, à la beauté sans pareille.

    -          "-Le prince de la lumière, dit tristement Dieu alors que son fils esquissait un sourire caustique sans lever les yeux vers lui.

    -          -Ah oui…c’est vrai…il fût un temps où je répondais à ce nom.

    -          -Tu répondais aussi quand c’était moi qui te commandais mon garçon, souffla Dieu en s’asseyant sur un monticule de terre en face de lui.

    -          -Que me veux-tu Père ? Demanda le Déchu avec douceur, pourquoi es-tu venu ?

    -          -Pour te voir mon fils, pour te parler.

    -          -Me parler ? Reprit Lucifer en relevant la tête pour lancer à Dieu un regard douloureux, je pensais que nous nous étions déjà tout dit, le jour où tu m’as arraché mes ailes avant de me précipiter ici".

    Un long silence suivi cette déclaration. Que pouvait-il ajouter ? Il n’y avait effectivement rien qui ne puisse réparer ce qui avait été fait. Dieu baissa la tête et soupira. Raphaël avait raison. Il n’aurait sans doute jamais dû venir ici. Les fantômes devaient appartenir au passé.

    -          "-Pourquoi es-tu si malheureux ? Demanda Lucifer en contemplant l’eau noirâtre, je sens comme une pointe de regrets Père. Serait-il possible que tu penses t’être trompé ?

    -          -Peut-être, confessa Dieu la mine grave, peut-être ta sanction était-elle trop barbare ? Mais ce que tu as fait mon fils, l’était tout autant.

    -          -J’ai apporté la connaissance à tes précieux humains et tu m’en veux encore pour ça ?

    -         - Non, dit Dieu en secouant la tête avec lassitude, tu as menti à tes frères et tu les as poussés à la guerre. Lucifer, pourquoi avoir fait mourir autant d’anges par le Feu Divin ? Pourquoi ?

    -          -Pour elle", répondit-il ses yeux brûlants d’une intensité peu commune.

    L’aveu plus faible qu’un murmure recélait plus de force qu’un cri. Ainsi donc après tout ce temps, il n’avait cessé de l’aimer ! Dieu lui lança un regard de pitié. Le diable amoureux, il y avait quelque chose de profondément pathétique dans cette assertion. Une affliction de l’âme, une inclination du plus grand de tous les princes, du plus beau de tous les anges qui l’avaient vouée à la destruction. L’amour, c’était là sa malédiction.

    -          "-Vous avez façonné de vos mains la plus enchanteresse de toutes les créatures, dit-il dans une expression douloureuse en revivant ses souvenirs, vous l’avez fait naître, belle et douce, rayonnante de mille grâces devant moi. Et dès que je l’ai vue, à l’instant même où mes yeux ont vu la pureté de son regard bleu, je l’ai  aimée. Elle était tout ce que j’ai jamais désiré.

    -          -Mais Eve n’a jamais été pour toi mon fils, répliqua Dieu d’une voix douce. Elle était faîte pour Adam-Kadmon.

    -          -Je voulais l’enlever, je voulais l’arracher à ses bras, dès l’instant où elle est devenue sa compagne, j’ai voulu sa mort. Je la désirais…je la désirais comme un fou rêve des étoiles, comme la nuit appelle la lumière. Je la désirais comme ma vie même. A l’instant où vous l’avez faite, je l’ai voulue pour moi et moi seul, poursuivit le Déchu en ignorant la remarque.

    -          -Cet amour était interdit par ma loi, murmura Dieu, vous n’auriez jamais pu profiter de votre bonheur, les hommes sont mortels et vous étiez leurs serviteurs.

    -          -Alors pourquoi m’avoir donné la puissance d’un dieu ? Pourquoi l’avoir créée telle que je l’appelais de mes vœux si c’était ensuite pour l’enlever à mes yeux ? La condamner à mourir pour que plus jamais je ne vois sa grâce, la délicatesse de ses traits où l’éclat de son sourire ? Vous prétendez être juste ? mais pourquoi me faire tant aimer si c’est pour ensuite me faire souffrir ?

    -          -Je n’aurai jamais cru cela possible mon fils ! S’excusa Dieu prit de pitié, mais toi qui étais si épris, pourquoi avoir laissé faire Lilith et sa mesquinerie. Bafouer son innocence et corrompre son cœur ?

    -          -J’espérais qu’ainsi elle se tourne vers moi, confessa Lucifer en laissant couler une larme noire de ses yeux clairs.

    -          -C’était donc ça ! Une fois corrompue elle serait chassée et tu aurais lu tout le loisir de pouvoir l’aimer, comprit Dieu avec une pointe de colère.

    -          -Dans un monde ou un autre quelle importance ? J’aurais bâti pour elle tous les palais du ciel, avoua le Déchu d’une voix ténue.

    -          -Mais elle n’en voulait pas, son cœur trop grand, préféra souffrir, demander pardon et se repentir, se remémora Dieu avec tristesse.

    -          -C’est pour elle que je voulais vous abattre, m’emparer du secret de la vie et lui apporter sur un plateau. La rendre immortelle et faire d’elle une reine. Mais au lieu de cela, vous l’avez arrachée à mes bras, plongée dans un profond sommeil, quelque part en Ether, très loin d’ici, de cette terre qu’autrefois on appelait Eden, avoua Lucifer plongé dans ses souvenirs.

    -          -C’était là son désir, une fois son œuvre accomplie, une fois la descendance d’Adam venue au monde, elle a souhaité se retirer et trouver la paix. Je n’ai pas eu le cœur de la faire mourir, elle avait succombé à Lilith, mais devais-je continuer à la punir ? Eve était ignorante, tu t’es chargé de lui apporter la connaissance, par l’entremise de la jalousie même d’une non-mère folle et tu n’as récolté que la peine, expliqua Dieu.

    -         - Je paye encore chaque jour l’amertume de mes erreurs, prostré ici, tourmenté par mes propres terreurs. Revoyant son visage, sentant son parfum, revivant inlassablement l’outrage que j’ai porté en son sein. Eve disparue je n’avais plus rien à perdre, il me restait à envahir votre royaume avec l’espoir insensé d’y retrouver ma reine".

    Ils restèrent un long moment silencieux. Se pouvait-il que Lucifer ne soit tombé que par amour ? Dieu aurait aimé y croire, mais il avait vu ce jour-là, alors que les troupes maudites de son fils ingrat forçaient les portes de ce qui avait été autrefois l’Eden, la cruauté, la barbarie et plus que tout dans son cœur, briller la haine. Le Déchu s’était pétrifié, comme prostré dans ses propres songes. Il contemplait la rivière de ses larmes, cherchant dans l’onde, le visage de celle par qui son malheur était arrivé.

    -          "-Tes frères sont dans un état lamentable, l’informa Dieu sur un ton inaudible.

    -          -Vous avez tué Azazel, répondit doucement Lucifer.

    -          -Tu es l’ange de la connaissance, je ne suis donc pas surpris que tu es appris son sort mais tu te trompes mon garçon le contredit-il, je l’ai plongé dans un profond sommeil, il était tourmenté par ses souvenirs.

    -          -Ses souvenirs le tourmentaient beaucoup moins que la découverte de ce que vous êtes en réalité, grinça Lucifer.

    -          -Tu as une si piètre opinion de moi mon fils, se lamenta Dieu blessé par l’injure, mais ce n’est pas moi qui suis responsable de la déchéance de tes frères. C’est toi qui leur a menti et qui les a voués à la ruine.

    -          -Ils m’ont suivi contre votre volonté, il est vrai mais contrairement à ce que vous pouvez croire, je ne les ai pas forcés à le faire. Tous s’étaient  déjà ligués contre vous, ce n’était qu’une question de temps avant que la révolte n’éclate, vous avez vous-même alimenté un feu que vous n’avez pas su contrôler. Ils avaient fait leur choix !

    -          -Tu ne t’es pas non plus empressé de les dissuader, lui reprocha le créateur en lui lançant un regard sévère, sans ton entêtement et ta capacité à semer le chaos partout où tu passais, aucun d’eux n’aurait choisi cette voie. Tu es l’artisan de ton propre malheur mon fils et contre cela je n’ai pas pu te protéger. J’aurai dû pourtant être en mesure de te préserver de toi-même c’est de cela dont je suis coupable, je le sais à présent."

    Depuis le début de son existence, jamais Lucifer n’avait entendu un tel aveu de faiblesse. Son père reconnaissait la faute qu’il avait lui-même commise le jour de sa création. Il reconnaissait ses torts et les assumait. Mince consolation pour celui qui avait passé une éternité dans l’ombre. Mince pansement sur un cœur saigné à blanc.

    -          "-Vous m’avez fait trop faible pour des desseins trop grands, murmura Lucifer en fondant son regard dans le sien, je suis votre plus grand échec et le premier de vos tourments.

    -          -Oui, avoua Dieu d’une voix faible, je t‘aimais mon garçon, je t’aimais plus que tout mais ce que tu as fait je ne peux pas le pardonner. En dépit de tout l’amour que je te porte, en dépit de toute la joie que tu m’as apportée et de toute la fierté que j’éprouvais pour toi, je ne peux te pardonner.

    -          -Je n’ai fait que ce pourquoi vous m’avez créé, répliqua-t-il plus dur. Je me suis rebellé contre vous parce que vous l’avez voulu Père, parce que vous le voulez encore !"

    Dieu resta interdit face à une telle déclaration. Il regarda Lucifer horrifié. Celui-ci le dardait d’un regard provocateur et meurtrier. Il esquissa un sourire moqueur avant de reprendre, une lueur perfide illuminant ses prunelles vertes.

    -          "-Vous le savez n’est-ce pas ? Au fond de vous-même vous savez que j’ai raison. Vous prétendez m’aimer mais pas suffisamment pour me pardonner ? Mais Père, ajouta-t-il dans un rire amer, nous savons tous les deux que ce n’est pas parce que vous avez perdu un fils que vous pleurez, mais parce que ce fils vous a vu tel que vous êtes en dépit de tous les efforts que vous avez fait pour le cacher. Vous avez créé les hommes pour alimenter votre puissance, vous les avez conçus avec la même utilité qu’ils donnent eux-mêmes aujourd’hui  aux porcs destinés à l’abattoir. Vous avez fait de moi l’ange de la connaissance, le porteur de lumière qui illumine les mondes ! Tonna-t-il, pourquoi ? Dans quel but autre que celui de vous percer à jour ? Vous vouliez que ce soit moi !

    -          -Non mon fils tu te trompes, protesta Dieu si faiblement.

    -          -Vous vouliez que je vous voie ! Affirma-t-il d’une voix forte, vous vouliez que quelqu’un vous arrête, que quelqu’un se rebelle pour les hommes. Qu’il les dresse contre vous, afin de vous les rendre méprisables pour que vous puissiez accomplir votre besogne sans vous sentir coupable ! Utiliser leurs âmes comme un vulgaire morceau de charbon pour alimenter votre pouvoir par leurs prières, les faire naître faibles et les asservir, les maintenir sous votre joug dans ce royaume céleste où vous les utiliser sans vergogne comme on dispose d’un objet ! Vous m’avez enchaîné pour que je ne les retrouve jamais, vous m’avez banni et priver de tout ce que je chérissais. Vous m’avez privé d’Eve que j’aimais. Mais là encore cette machination tout comme cet amour n’est que de votre fait. Je ne suis pas l’artisan de mon malheur, je suis votre pantin et l’univers est la demeure que vous avez peuplée de chimères pour occuper vos heures. Vous m’avez piégé et manipulé, mais je dois vous remercier en vérité car sans votre plan pour vous débarrasser de moi, je n’aurais jamais connu le bonheur d’entendre sa voix. Moi qui savait tout et elle si pure et ignorante, vous saviez que son sort me pousserait à lever une armée flamboyante. Vous saviez que je me battrais pour eux. Vous saviez que j’aurais préféré mourir que d’être votre complice et d’exaucer vos vœux.

    -          -Mais tu as échoué mon fils, dit Dieu le regard absent, en dépit de toute ta noblesse et de tout ton courage, de l’ardeur que tu as mis à ruiner mon ouvrage, tu as échoué et ce faisant tu es ici et elle dans le royaume céleste où son âme est prise au piège. L’ironie du sort mon fils c’est que je suis toujours Dieu et que tu es toujours mon complice. Ton nom est synonyme d’effroi chez les hommes que tu prenais en pitié, et tu n’es plus pour eux qu’une ombre redoutée. Tu as raison il est vrai, je savais que la naissance des hommes signifierait que je te perdrais. Mais je n’ai pourtant jamais menti quand je disais que tu étais le premier et mon préféré parmi mes enfants. Je t’aimais mon fils et je t’aimerai toujours mais tu es trop dangereux pour que je te laisse vivre en dehors de ces murs. Bientôt comme tes frères tu auras perdu la raison et personne ne viendra prêter une oreille attentive à tes lamentations. Personne ne se rappellera de toi. Personne ne te cherchera. Je suis le maître et comme tout maître j’ai besoin d’alimenter mon pouvoir. Les hommes sont le recours et l’Ether l’outil. Grâce à eux je peux vivre tandis que toi, mon enfant, tu es agonisant."

    Dieu alors sourit à Lucifer qui le regarda se détourner et partir au loin. Plonger dans l’obscurité, le Déchu brûla d’une rage intense et hurla le nom de « Père » avec violence. Celui-ci à ses cris fut ému de voir, la souffrance et la colère de ce fils trop brillant pour sa propre sécurité.

    -          "-Non mon fils, chuchota-t-il en sachant parfaitement que Lucifer pouvait l’entendre, rien n’y fera désormais, tu resteras mon otage et ma blessure…de toute éternité."

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