• Chapitre VI Les hallucinations d'un fou

    Il était là depuis trop longtemps.

       La quinte de toux qui le secoua, lui brûla la gorge et les poumons, lui laissant un désagréable goût de fer et de sel dans la bouche. « Du sang » pensa-t-il avec lassitude. Ça ne sentait pas bon, pas bon du tout. J n’avait pas peur bien sûr, mais il avait parfaitement conscience que son état n’allait pas en s’améliorant. Le Joker était fou, pas stupide. Pendant  un instant, il envisagea de mentionner les douleurs lancinantes qui lui barraient la poitrine à sa « nouvelle », pas si nouvelle que ça, psychiatre. Assise en face de lui dans la cellule, elle le regardait avidement, comme une hyène. Détournant les yeux de cette créature écœurante, J couché au sol, s’absorba dans la contemplation du plafond. Et dire que c’était lui qui portait une camisole ! La lucidité de sa remarque le fit rire aux éclats, sans qu’aucune réaction n’apparaisse sur le visage de Candice Grows. Lyle, exaspéré lui décocha un uppercut. Sonné, J vit la créature en blouse blanche se pencher vers lui avec une lenteur calculée :

    « - On a été un méchant garçon, émis la voix aigüe avec une douceur inquiétante, regarde dans quel état tu es maintenant ? »

       Elle sortit un mouchoir de sa poche et lui essuya le sang qui suintait de ses lèvres. Un sourire flottait sur le visage disgracieux de la jeune femme, un sourire absent et béat qui s’harmonisait avec son regard brillant et lui donna l’impression de ne rien voir de précis. Candice aimait un peu trop la vue du sang pour être honnête selon lui. L’ironie, voulait qu’elle fût au bon endroit, mais pas du bon côté de la porte de la cellule. Elle prit la tête de J et l’aplatit avec autorité sur son buste. Elle se mit à le bercer frénétiquement, le serrant jusqu’à l’étouffer :

    « - Pourquoi tu ne me dis pas ce que je veux savoir ? Chuchota-t-elle à toute vitesse, Si tu es gentil avec moi, je te donnerais ce que tu veux. Sois un bon garçon avec maman, puis elle souffla à l’oreille, raconte-moi ce dont j’ai besoin. Si tu ne fais pas ce que je veux, je dirais à Lyle de te frapper, encore, et je le regarderai te briser les os un par un, dit-elle en riant visiblement amusée à l’idée, ce n’est pas ce que tu veux n’est-ce pas ? Elle l’éloigna brusquement pour planter son regard dans le sien et s’assurer qu’il avait bien compris, tu vas me parler maintenant n’est-ce pas ? Tu vas enfin dire quelque chose.

      Elle attendit tous les sens en éveil, les yeux braqués sur lui, une réponse qui ne vînt pas. Au bout d’un moment, elle se leva et alla murmurer quelque chose à Lyle que J n’entendit pas. Le molosse sortit un instant, en face de lui le docteur Grows se mit à fredonner d’un air joyeux qui lui intima la prudence. J savait par instinct reconnaître un fou dangereux quand il en voyait un. Et Candice Grows était une folle furieuse. Une folle particulièrement dangereuse. Bolton revînt en poussant un fauteuil roulant devant lui, et J déglutit péniblement. Le gardien le chargea avec brutalité sur le fauteuil et Candice lui offrit un sourire éblouissant. Non décidément ça ne sentait pas bon. Pas bon du tout.

                                                                ********

     « -Tim ? Est-ce que tu veux une histoire ? »

      Harleen regardait le petit garçon avec douceur. Tous les deux installés dans la salle de jeu que la jeune psychiatre avait aménagé après sa prise de fonction, il y avait de cela trois mois déjà, elle lui tendait un livre de contes que le petit garçon regarda avec envie.

       Tim était l’un des patients qu’Harleen s’était vu attribuer par le docteur Matthews dès son arrivée. A première vue, rien ne le distinguait d’un enfant ordinaire. Tim était un adorable garçon de sept ans, avec de belles boucles blondes et de grands yeux noirs rêveurs. Mais Tim n’était pas à Arkham par hasard. Psychotique, il avait une fascination morbide pour le feu. Une fascination qui coûta la vie à ses parents. La culpabilité l’avait enfermé dans un profond mutisme ; un mutisme qu’Harleen essayait tant bien que mal de briser.

       Le petit garçon hocha vigoureusement la tête avant de se précipiter dans le giron de la psychiatre, le pouce fermement enfoncé dans la bouche, pour écouter le petit chaperon rouge.

       Cette marque d’affection, venant d’un enfant avec un passé aussi tourmenté, remplie le cœur d’Harleen de fierté. Elle le sentait si souvent près à éclater ici dans l’Aile Sud. La plupart des enfants et des adolescents d’Arkham ne recevaient aucune visite de leurs familles, on les abandonnait là, on les enfermait à l’hôpital puis on les oubliait. Cela la révoltait. Peut-être parce qu’elle savait ce qu’ils éprouvaient.

      Secondée par Amelia Bones, la puéricultrice en charge de la direction du service infirmier de l’aile Sud et par les aides-soignantes, Harleen avait aménagé des temps d’accueil collectifs et individuels pour ses patients. Les journées étaient réparties entre les apprentissages reçus par un professeur engagé sur l’insistance du docteur Matthews, et des temps de soins. Harleen et Elliott s’étaient répartis les enfants. Pendant les séances de thérapie, les aides-soignantes établissaient des jeux collectifs dans les différentes salles de jeux.

      Les progrès étaient sensibles, mais minimes. Certains enfants étaient là depuis trop longtemps, souffraient de pathologies trop graves pour qu’une simple réorganisation du temps et de l’espace suffisent à les réinsérer. C’était le cas de Tim. En dépit de l’assurance d’Amelia sur ses progrès, Harleen sentait que quelque chose n’allait pas. Tim gardait en lui des souffrances qu’il n’arrivait, ou ne pouvait exprimer. Elle avait vu les marques de brûlures sur son dos, des marques rondes, plutôt petites, qui vu l’endroit n’aurait jamais pu être faites par l’enfant. Elle avait plusieurs fois tenté de l’interroger à ce sujet, mais dès lors, Tim se mettait à trembler et restait tétanisé, les yeux agrandit de frayeur. Le plus inquiétant était que ces marques étaient récentes. Or Tim  était à l’hôpital depuis un an déjà et il n’en sortait jamais. Quand elle en avait parlé à Amelia et Elliott, ceux-ci en avait immédiatement parlé au docteur Bartholomew qui avait dépêché Steven Davies, un agent de sécurité, pour enquêter. 

      Harleen raccompagna le petit garçon dans sa chambre puis se dirigea vers son bureau. Elle franchit l’impressionnant dispositif de sécurité et quitta l’étage des enfants. Elle s’était accoutumée aux bips sonores des codes, aux bruits des  portes automatiques et à la vision des gardes. Depuis trois mois qu’elle était là, le plus souvent elle n’y faisait plus attention. Elle avait même réussi à se repérer dans le dédale de couloirs. Elle plongea la main droite dans sa blouse à la recherche de ses clés quand elle sentit un papier plié avec soin. Un dessin ! Tim avait dû le lui glisser dans la poche pendant qu’elle lui racontait une histoire. Elle déplia la feuille et contempla son portrait amusée. N’empêche, elle savait qu’elle avait gagné la confiance du garçon, alors pourquoi n’osait-il lui confier ses craintes ?

            ********

    La douleur foudroie dans un premier temps. Ensuite et seulement ensuite elle devient lancinante.

    J était essoufflé. La décharge que lui avait envoyée la gentille docteur Grows lui avait coupé la respiration. La douleur avait été si forte, qu’il avait cru mourir. Fini de rire. Candice le traîna dans la douche  et lui frappa la tête contre le mur carrelé.

    « - Tu sais se serait plus simple si tu me racontais tout, susurra-t-elle d’une voix de petite fille, tu ne veux pas ? Ajouta-t-elle en grimpant dans les aigus sa tête mimant un signe de dénégation.

      Elle s’écarta de lui et actionna le jet d’eau glacé. J laissa échapper une plainte. Dans sa tête Joker lui intima la patience. Facile à dire, ce n’était pas lui qui subissait les sévices de cette cinglée depuis trois mois. Quoique ? J ne savait plus. Il n’était pas d’humeur à parlementer avec son moi intérieur, le moment était mal choisi. Indubitablement lui répondit un lointain écho de voix quelque part dans les méandres de son cerveau.

    « - Je comprends tu sais, je peux tout comprendre, c’est mon métier de comprendre, reprit Candice les yeux dans le vague, je sais des choses que tu ne sais pas, je pourrais t’apprendre. Mais avant il faut que tu apprennes à m’obéir. »

    « Compte là-dessus » lui hurla le Joker. J secoua la tête frénétiquement. C’était déjà suffisamment compliqué de suivre une conversation, alors si en plus tout le monde se mettait à parler en même temps ! N’y tenant plus, Joker se mit à rire. Il riait de se voir ainsi nu et menotté, sanglant sous la douche face à la « si » délicate et « si » compréhensive Candice. Quelle douceur elle avait cette Candice avec cet homme à sa merci. Son rire sonore se répercuta partout dans la douche, rebondissant sur chaque carreau. Il le suivit des yeux en pleurant de joie, jusqu’à ce que la harpie pousse un énième hurlement de rage et se jette sur lui pour lui lancer une décharge.

       Alors il planta ses yeux noirs dans les siens. Il ne riait plus du tout. Il n’avait pas mal du tout. Il la regardait, il la regardait avec ses yeux à lui. Ceux qu’elle voulait voir depuis si longtemps. Il se délecta de ce qu’il vit dans les iris bleus. Il savoura les multiples fissures qu’il voyait apparaître dans l’esprit déjà dément de ce délice de Candice. Elle voulait savoir, avait-elle dit…Il fut ravi de la voir s’étioler, tanguer et chavirer. Elle oscillait lentement. Le moment était venu de lui donner le coup de grâce. Il la fixa avec plus d’intensité. Plus de noirceur. Adieu Candice, on ne se moque pas impunément du Joker…

          ***********

        Harleen arpentait les couloirs interminables de l’Aile Nord quand elle l’entendit.  Le cri vînt interrompre le fil de ses pensées. Elle s’arrêta net et leva la tête. Cette voix, elle la connaissait. Elle avait passé les trois derniers mois à s’en tenir éloigner le plus possible. Candice. Depuis trois mois, Harleen l’avait vue changer de manière imperceptible. Elle était la seule à le voir cependant. Personne ne semblait s’inquiéter pour Candice. En présence des autres membres du personnel elle se montrait toujours aimable ou odieuse, selon à qui elle avait à faire. Cela, Harleen en avait l’habitude. Mais au fil des jours, la jeune psychiatre  nota chez son ancienne camarade une âpreté, une distance et une angoisse qu’elle ne lui avait jamais connue. Candice s’isolait des autres, même de Lyle, le terrifiant maton qui la suivait comme une ombre. Plusieurs fois, elle l’avait surprise en train de tenir des propos incohérents sur la manière de « dresser ces monstres » pour s’en faire « obéir ». Candice perdait les pédales petit à petit, elle en avait parlé à Amelia et à Eliott ainsi qu’à Steven mais personne ne l’avait pris au sérieux. Avec eux Candice était charmante, Harleen devrait avoir honte d’évoquer ainsi l’une de ses collègues. D’autant plus que Candice l’aimait tellement…

       Mais ce cri, ce cri avait quelque chose d’effrayant. « Pas effrayant, dément » lui souffla une petite voix dans sa tête. Alors Harleen se précipita, elle se mit à courir le plus rapidement possible à la poursuite d’un cri.  « C’est fou tu ne trouves pas ? Courir après un cri ? » Elle fit taire la remarque caustique en elle et accéléra le pas.

            **********

       Candice était partie en fumée. Sur lui se démenait une tornade de violence hurlante totalement incontrôlable. Tout compte fait, il y était peut-être allé un peu fort avec Candy. J sourit faiblement. Elle le malmenait tellement, qu’il n’eût même pas la force de rire à sa propre blague. Dans sa tête un bourdonnement sourd couvrait d’un voile épais sa perception du monde extérieur. J était à deux doigts de sombrer. Autour de lui, l’eau avait pris une vilaine teinte rouge, sans qu’’il soit capable de se l’expliquer. Arrivait-il à changer l’eau en vin maintenant ? J n’était pas sûr.

        Au-dessus de lui la harpie ouvrait une gueule béante, prête à l’avaler.  Agenouillée à ses côtés elle frappait, cognait, mordait et griffait tant qu’elle pouvait. Les yeux mi-clos, il attendait que cette touchante démonstration d’affection, parfaite illustration de la proximité dans la relation « médecin/patient », prenne fin.  C’est alors qu’il la vit. Elle ouvrit la porte et resta un instant interdite, les yeux écarquillés d’épouvante. De beaux yeux noirs en amande, plein d’innocence. Ses lèvres roses se tordirent en un hoquet d’horreur. Elle détourna les yeux choquée, et appela à l’aide. J essaya d’entendre sa voix, mais elle était trop loin, et le voile était trop lourd. Dans la lumière blafarde des néons, Joker aurait dit que ses cheveux formaient comme un halo lumineux autour de ce visage terrifié.  Elle entra rapidement dans la pièce, des agents sur les talons, et cria sur Hard Candy qui ne l’entendait pas.

        Elle fit alors une chose surprenante. Une chose à laquelle J ne s’attendait pas. Une chose insensée. Elle se jeta sur lui. Elle glissa entre la harpie et J et posa son petit bras  frêle sur lui, tout en tentant de repousser Candy de l’autre. Les agents se précipitèrent à la rescousse. Elle se tourna alors vers Joker et le coucha avec beaucoup de douceur sur le dos.  Elle enleva d’un geste gracieux et précis sa blouse blanche  pour recouvrir sa nudité. Il la regarda baisser les yeux, les joues légèrement rosies. Son visage de poupée était barré d’un pli soucieux, inquiet. Elle se pencha vers lui et lui dit quelque chose qu’il ne comprit pas. J s’étonna de voir Joker regretter son soudain accès de surdité. Il n’était pas vraiment du genre sentimental. Dans les cheveux de la jeune fille, ses yeux noirs s’attardèrent sur le joli ruban rouge. Le visage soucieux s’était rapproché du sien. J plissa les yeux, c’était impossible de dégager autant de lumière. La jeune psychiatre semblait littéralement irradiée.

       Ses yeux parcourent à nouveau le visage de la jeune fille. Ses cheveux blonds, ses yeux noirs, sa peau blanche…il y avait quelque chose en elle…il n’aurait su dire quoi…penchant légèrement la tête, J ne pouvait détacher ses yeux de la fragile créature agenouillée à ses côtés. Et soudain il comprit : oui bien sûr, c’était Elle, il l’avait reconnue… C’est avec un sourire satisfait que le Joker sombra dans les ténèbres.                                                                                                                          

         **********

         Elle était assise dans le bureau du Docteur Bartholomew. A Ses côtés Steven était silencieux, atterré. Candice était devenue une véritable furie. Il avait fallu trois gardes pour la maîtriser. Et encore, son état de rage était tel, que sa force en était décuplée. Elle avait assommé Steven au moment où Elliott avait tenté de lui administrer un calmant. Le pauvre docteur Matthews avait été mordu jusqu’au sang par Candice qui ne se contrôlait plus. Elle s’époumonait encore au sol, malgré les quatre agents robustes aplatit sur son dos ;  quand Harleen sortit des douches avec le patient à demi-mort couché sur un brancard. Tant bien que mal, ils avaient réussi à la maîtriser suffisamment longtemps pour l’enfermer dans une cellule.    Quand le docteur Bartholomew entra dans la pièce, il semblait avoir vieillit de dix ans. Son front dégarni était barré d’un pli soucieux, tandis que ses épaules voûtées trahissaient le fait qu’il marquait le coup. Il soupira et laissa tomber, plus qu’il ne s’assit, dans son fauteuil. Il parla d’une voix étouffée avec Steven, qui lui assura la remise d’un rapport dès le lendemain. Il salua le jeune agent de sécurité qui prit rapidement congé.

      « - Quelle histoire, soupira-t-il une fois la porte du bureau refermée, le conseil d’administration a renvoyé immédiatement Candice pour faute grave, d’ici quelques jours sa licence sera révoquée. Parfois je me demande pourquoi je continue à diriger ce service. Et moi qui pensais avoir tout vu, dit-il en se massant les tempes.

    -         "-Je suis désolée, chuchota Harleen.

    -        - Pourquoi ? demanda le docteur Bartholomew surpris, vous n’avez pas à l’être, nous avons découvert que Candice dérobait des médicaments pour les revendre aux dealers de Gotham, qu’elle falsifiait les carnets de commandes et les ordonnances, sans parler des sévices qu’elle faisait subir aux patients. Vous n’avez pas être désolé Harleen, répéta-t-il d’une voix ferme, la déchéance de Miss Grows n’est absolument pas de votre fait.

    -         -Je suis désolée pour vous, précisa-t-elle d’une voix éteinte encore sous le choc.

    -         -Ne vous inquiétez pas pour le vieillard que je suis, lui sourit-il doucement, soyez désolée pour Joan qui doit réorganiser tous les emplois du temps, en attendant que je trouve quelqu’un qui accepte de travailler ici.

    -         -Réorganiser ? souligna Harleen interdite.

    -         -Oui ma chère, soupira le vieux directeur, les patients du Docteur Grows doivent être suivis, tous les psychiatres de l’hôpital sont mis à contribution, y compris vous Harleen

    -         -Moi ? demanda-t-elle surprise

    -         -Oui vous."

      Il écarta alors son fauteuil du bureau pour ouvrir le tiroir. Il en sortit le dossier le plus épais qu’Harleen ait jamais vu de sa vie et le posa devant lui sur son sous-main en cuir noir.

    -         "-Et qui sera mon patient ? Interrogea Harleen, pressentant le pire.

    -          -L’homme que vous avez sauvé aujourd’hui : Le Joker » lança le docteur Bartholomew après un long moment d’hésitation.

     

     

    « Chapitre V mauvaise blagueChapitre VII JX-007-13 »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :