• Chapitre VII JX-007-13

    Si Harleen s’était accoutumée à la saleté des étages supérieurs, elle eut un choc en découvrant celui du sous-sol. L’obscurité humide et poisseuse la prit littéralement à la gorge dès que les portes du monte-charge s’ouvrirent.  En face d’elle, à une dizaine de mètres à peine se dressait une seule porte souillée de crasse et de rouille. Entre elles, des monceaux de débris jonchaient le couloir entre les cellules inhabitées. « Un véritable dépotoir » pensa Harleen en s’engageant avec difficulté vers la cellule du plus célèbre patient de tout le continent américain.

     

       Au fur et à mesure qu’elle avançait, Harleen sentit son estomac se contracter douloureusement sous le coup de l’angoisse, le cœur serré dans un étau, comme si une enclume venait soudainement de s’abattre sur sa cage thoracique. Elle respirait avec difficulté, préférant ne pas imaginer qui se trouvait derrière cette porte, d’où la visière laissait s’échapper une lueur blafarde. Pourtant son cœur ne battait pas plus vite. Non, il battait juste plus fort, comme si chaque coup lourd porté contre ses côtés lui demandait un effort surhumain. A ses côtés, Lyle avançait comme à l’accoutumée sans dire un traître mot. Son regard blasé, trahit un profond ennui. La thérapie du Joker devait sans doute représenter une perte de temps pour un homme tel que lui. Elle ne comprenait pas pourquoi le Docteur Bartholomew ne l’avait renvoyé en même temps que Candice, après tout, il était présent à ses côtés durant ses multiples séances de torture durant lesquelles elle tabassait le Joker et ses autres patients. Au souvenir de l’expression enragée et cruelle sur le visage de Candice, un frisson la parcourut. Comment pouvait-on sombrer dans le sadisme et se délecter de la souffrance d’un autre ? Mystère…

     

       Lyle s’arrêta devant un boîtier électronique où il lui indiqua d’une voix brusque ce qu’elle devait faire. Harleen obéit docilement, retirant son badge d’une main tremblante, le cœur battant jusque dans sa gorge. Elle passa la carte magnétique dans le boîtier et tapait le code indiqué par Lyle : « JX-007-13 ». Les gonds de la porte grincèrent tandis que le verrouillage automatique se désactivait. Comment avait-on pu adapter un système de sécurité aussi moderne  sur une relique de porte prison comme celle-ci ? Elle l’ignorait. Posant sa main sur la poignée glacée, Harleen poussa de toutes mes forces.

     

       La jeune psychiatre resta interloquée face à la disposition de la cellule. La « chambre » ordinaire, commune à tous les patients, était ici bien plus vaste et comme coupée en deux. La porte d’entrée de la cellule donnait sur un parloir semblable à celui d’une prison avec  une chaise fixée au sol et une table en béton. Barrant toute la pièce, une large baie vitrée empêchait le « pensionnaire » d’interagir physiquement avec le thérapeute. Face à sa mine ahurie  Lyle crut bon d’expliquer :

     

    « - on a installé ça après que Monsieur J a perdu les pédales. C’était il y a deux ou trois ans. Un jour le psy qui s’occupait de lui s’est pointé, au mauvais moment visiblement ; et quand je suis arrivé à la fin de la séance, ce pauvre docteur était raide mort par terre et le dégénéré qui se cache là, son tête lança un coup sec de l’autre côté du miroir,  riait à n’en plus pouvoir. Alors on a installé ça. »

     

      Son petit-déjeuner lui remonta dans la gorge tandis que Lyle  racontait le meurtre de l’un de ses prédécesseurs avec un détachement qui l’effraya. Elle prit une profonde inspiration avant de pénétrer dans la pièce. Tandis qu’elle s’installait d’un côté du parloir, Lyle  se dirigea vers le fond de la pièce et alluma la lumière dans la chambre du Joker.  Elle retînt à grand-peine un sursaut effrayé quand la lumière lui révéla qu’il était déjà installé en face d’elle, assis le dos bien droit sur la chaise de l’autre côté du miroir, le visage figé dans une expression dure, ses yeux noirs brillant d’une lueur malsaine la fixant intensément. Elle resta interdite, comme pétrifiée.

     

        Ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait et pourtant elle eût le sentiment de le voir vraiment. Il ne correspondait pas du tout à l’image qu’elle s’était faite de lui. Il était bien plus jeune qu’elle ne l’avait cru, et devait avoir une trentaine d’années. Ses cheveux longs et épais, tombaient en désordre sur son visage et descendaient sur ses larges épaules. Les reflets blonds et verdâtres continuaient de perdurer au milieu d’un noir dense.  Ironiquement, Harleen pensa que tout monstre qu’il était, il était objectivement un très bel homme. Sans son maquillage, on pouvait pleinement apprécier les traits séduisants. Il possédait une beauté, un magnétisme, qu’il devait certainement être difficile d’ignorer. Le genre d’homme à faire tourner les têtes des plus jolies femmes. Enfin si on faisait abstraction de sa bouche.

     

       Sans le maquillage criard, l’ampleur de la blessure sautait aux yeux. Les lèvres scarifiées et déchiquetées la mirent mal-à-l’aise. Elles sonnaient faux dans cet ovale parfait. Les cicatrices boursoufflées étaient inégales d’une joue à l’autre, et d’un rose inquiétant.  A l’origine, il devait avoir eu des lèvres fines, bien dessinées, qui devaient s’écarter sur un sourire éblouissant et séducteur. Mais plus maintenant. Son regard de médecin s’attarda sur cette mâchoire carrée ainsi tailladée, étant donnée la nature des cicatrices Harleen pensa sans trop savoir pourquoi, qu’il s’était probablement blessé lui-même.

     

    « - Votre inventaire vous convient-il ? »  S’amusa le Joker d’une voix grave et séduisante.

     

      Harleen le regarda confuse. Les yeux noirs, vifs et brillants, la transperçaient avec une intensité peu commune. Il était difficile de soutenir un tel regard trop longtemps, la jeune femme baissa la tête et tenta de rassembler ses esprits, avant de lancer du bout des lèvres :

     

    « - Pardonnez-moi, c’était impoli de ma part…je suis le docteur Harleen Quinzel. »

     

     Les yeux du Joker s’écarquillèrent alors d’une surprise non feinte. Il lui parut totalement émerveillé, comme si elle lui avait annoncé sa libération. Durant un instant, il arbora l’expression d’un petit garçon face à la découverte de ses cadeaux de noël. Il sourit, une expression de bonheur extatique sur le visage séduisant  et la regarda avec une joie palpable. Harleen fronça les sourcils perplexes : 

     

    « - J’ai dit quelque chose de drôle ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.

     

    -         - J’aime votre nom, murmura-t-il, il me fait penser à une bonne blague. En le retravaillant un peu ça pourrait donner Harley Quinn.

     

    -         - Comme Arlequin ? Soupira Harleen, vous savez on me l’a déjà faite celle-là, dit-elle d’un ton las.

     

    -          - Je peux vous appeler Harley ?

     

    -     - Je préférerai Docteur Quinzel.

     

    -    - Comme vous voudrez…Harley. »

     

     La conversation s’arrêta là. Harleen passa les quarante-cinq minutes restantes à tenter de le faire réagir en lui parlant des bilans de ses prédécesseurs, mais il ne semblait même pas l’écouter, trop absorber à la détailler, la tête légèrement penchée sur le côté, les yeux réduit à deux fentes perplexes et un sourire amusé accroché à ses cicatrices. Agacée autant par son mutisme que par son examen minutieux,  Harleen plongea la main dans l’une des poches de sa blouse et s’empara du jeu de cartes de Tim. Elle fit coulisser la petite trappe du parloir, où on déposait habituellement les médicaments. Puisqu’il ne voulait pas parler, autant passer le temps de façon plus agréable ! Elle battit les cartes et les distribua rapidement, plaçant la pioche du côté de son patient. Il haussa les sourcils et rit de l’entreprise de sa nouvelle psychiatre. Harleen n’en eut cure, elle se cala sur sa chaise et s’absorba dans la contemplation de son jeu, sans un mot.

     

      « - Est-ce que vous êtes fâchée Harley ? Murmura-t-il d’une voix hachée en se penchant vers la vitre.

     

    -         - Pas du tout, répondit-elle affectant un détachement qu’elle était loin d’éprouver, je suis là pour remplacer le docteur Grows, pour vous soigner, voire, vous réinsérer dans la société. Or à aucun moment on ne vous a demandé votre avis sur la question.  On vous a imposé une nouvelle psychiatre à qui vous n’avez rien à dire. Je n’apprécie pas vraiment cette façon de faire et on ne peut pas forcer un patient à se soigner. Donc…

     

    -         - Donc vous sortez un jeu de cartes ? Vous êtes sûr que tout va bien docteur ? La coupa le Joker secoué de rire.

     

    -         - Eh bien, dans la mesure où nous allons nous côtoyer souvent, si vous vous dérobez durant la thérapie, tout ce travail sera au final, ni plus ni moins que du temps perdu. Alors quitte à perdre notre temps ensemble, autant que ce soit ludique, elle leva les mains vers la vitre et lui montra son jeu de cartes, si un jour vous voulez me parler et commencer l’analyse, on s’y mettra, dit-elle d’une voix douce. En attendant…les cartes, vous les prenez ou pas ?" Elle désigna d’un mouvement de tête, le jeu qu’elle venait de lui distribuer.

     

      Il la regarda, les yeux écarquillés, muet comme une carpe. Harleen était contente de lui avoir coupée la chique. Vu sa tête, ça ne devait pas arriver souvent. Concentrer sur son jeu, elle se forçait à ne pas lever les yeux vers lui, attendant qu’il se décide.  Il n’y avait que deux solutions. Soit il entrait dans le jeu, soit ils se retrouvaient tous deux dans une impasse. En lui donnant le sentiment de faire un choix, d’agir, elle espérait gagner sa confiance. Le joker resta un long moment silencieux, sans faire le moindre mouvement. Elle ne cilla pas. Harleen comprit qu’il la testait, il cherchait à savoir si elle était sérieuse. Lentement, après une attente interminable, il s’empara du jeu et sans un mot ils commencèrent une partie.

     

       Quand Lyle revînt à la fin de la séance, Harleen rangea rapidement ses affaires et salua son patient qui la regardait, hébété. Elle se levait quand il l’interpella :

     

    «          "-  Harley, vous avez oublié vos cartes.  

    -         Gardez-les, lui sourit-elle, je vous les laisse.

    -         Oh ! Vous me faîtes le coup de la gentille psychiatre ?

     

    -       Non pas du tout, dit-elle sans se départir de son sourire, je vous fais le coup de la fille qui vous laisse un jeu de cartes.

     

    -         Ça ressemble à une blague, dit-il méfiant.

     

    -         C’est pourtant très sérieux. »

     

       Lyle s’approcha sans un bruit de l’interrupteur de la chambre et la dernière chose que vit Harleen fût l’expression incrédule du jeune homme qui la regardait avec, elle n’aurait su le dire avec certitude, une pointe de regret peut-être au fond des yeux. A moins que ce ne fussent les siens qui rendaient son pas subitement traînant. En soupirant elle se tourna vers la porte rouillée et c’est là qu’elle l’entendit marmonner dans le noir :

     

    « - Reviens me voir bientôt ma petite Harley Quinn. »

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