• De toute éternité: chapitre I L'Ether

    Suspendu au firmament, accroché dans l’Ether, Dieu contemplait l’univers. Il regardait l’ensemble de sa création se muer vers une fin inéluctable avec une profonde tristesse. Tout ce qu’il avait forgé, tout ce qu’il avait bâti, rien ne semblait devoir le réjouir tandis que la nuit plongeait les hommes au cœur  des rêves. De là où il était, il pouvait entendre leurs prières murmurées, leurs plaintes et leurs joies, leurs demandes qui résonnaient comme des milliers d’échos. Si seulement ils savaient à quel point ils étaient chanceux, se dit-il ses yeux bleus tournés vers les étoiles. Leurs tourments étaient éphémères quand les siens duraient éternellement. Il s’était senti seul en vérité, il fallait qu’il le soit, pour avoir créé ces milliards de vies qu’il avait vu défiler. Bien sûr il les aimait. Il les aimait tous. Tous étaient ses enfants. Même les anges étaient sa famille. Il les avait façonnés, sculptés, avec toute la délicatesse dont il était capable, avec la précision d’un horloger.

    Mais pour que de telles créatures puissent venir au monde, il avait dû lui-même devenir chair et sang. Pour qu’ils puissent vivre et prospérer, il avait façonné un Ether, que ses enfants pourraient peupler. De son corps et de son esprit, il avait alors pu donner naissance aux anges. Ses premiers enfants, les premières factions d’anges qu’il avait créés, étaient des êtres d’une remarquable puissance aux talents inimaginables. Ils l’avaient aidé dans la tâche qu’il s’était fixé et avaient battis des mondes pour sa gloire. Tous étaient perçus aux yeux des hommes qui peuplaient cet univers, comme des divinités protectrices. Ses enfants…les Aînés, comme il aimait les appeler avec tendresse. Les Premiers, qui étaient devenus les Archanges, par la suite. Ils étaient encore très célèbres parmi les hommes. Il avait trouvé auprès d’eux la famille qu’il avait toujours rêvée d’avoir. Ils avaient été la source de ses premières joies. Mais Dieu ne pouvait tolérer qu’un univers aussi vaste ne pût être qu’un espace vide et sans vie. Et c’est ainsi qu’avec ses enfants il créa les mondes et les peupla. Les hommes. L’Humanité. La plus fragile et la plus éphémère de toutes les créations. La plus belle aussi, car ce qui ne peut durer ne peut que briller davantage. C’est avant de mourir que les étoiles deviennent étincelantes.

    Accoudé au balcon de son palais blanc qui donnait un accès à la salle des Jugements où il tenait audience, Dieu contemplait l’univers en se disant qu’il avait finalement trouvé une raison d’être autre que lui-même, le jour où il découvrit qu’il pouvait créer la vie et l’insuffler partout où il pouvait aller.

    "- Père ? demanda une voix mélodieuse où perçaient des accents d’inquiétude dans son dos.

    -          -Gabrielle", sourit-il tendrement en se retournant.

    Il contempla avec bonheur le visage d’une beauté délicate et raffinée. Gabrielle était sa fille cadette parmi les premiers Anges, mais elle avait reçu en héritage de son père, une capacité à aimer de façon inconditionnelle tout être vivant. Elle était son messager et de plus en plus souvent à présent, celle qui le réconfortait. Dieu détailla rapidement les yeux dorés de l’Archange, sa peau translucide et sa taille fine. Comme tous ceux de son espère, elle était incroyablement grande, moins que lui certes, mais bien plus qu’un homme. Ses longs cheveux d’un blanc aux reflets argentés chatoyaient sous les lueurs lointaines des milliards d’étoiles qui les entouraient. Comme à son habitude, elle portait sur sa tête un long voile de dentelle d’un blanc immaculé et une robe longue et élégante qui soulignait sa silhouette longiligne.

    -          "-Père, dit-elle en souriant, vous semblez songeur, remarqua-t-elle en s’approchant de lui.

    -          -Je veille sur un univers entier, il y a de quoi devenir songeur, répondit Dieu avec un sourire amusé.

    -          -Puis-je savoir ce qui vous préoccupe ? S’enquit-elle avec douceur.

    -          -Non ma fille, refusa-t-il en retournant en se détournant des étoiles pour rentrer dans la salle du trône circulaire, il ne s’agît de rien d’autres que des pensées d’un vieillard qui a vécu trop longtemps, rien qui ne te concerne en somme.

    -          -Père…souffla-t-elle émue par cet aveu en se mordillant la lèvre.

    -          -Allons Gabrielle, tu es bien trop sensible, je te l’ai dit ce n’est rien de bien méchant. Juste des pensées de vieillard, rien de plus. Mais et toi, demanda-t-il soudain en contemplant la magnifique créature, que fais-tu encore debout si tard ?

    -      -Je voulais vous prévenir, dit-elle  en rentrant à son tour dans le palais, Raphaël a soigné votre fils et il les a raccompagnés à leurs appartements.

    -  -Comment vont-ils ? S’enquit Dieu en hochant la tête en signe de soulagement et de gratitude.

    -       -Ils sont épuisés mais se portent bien selon mon frère.

    -          -Tu le remercieras de ma part, dit Dieu en croisant son regard bleu à celui fait d’or liquide de sa fille bien-aimée.

    -          -Vous pourrez lui témoigner votre gratitude, car il attend dehors, indiqua-t-elle en souriant, il souhaite vous faire part d’une requête.

    -          -Bien, approuva Dieu fait-le entrer et va prendre un peu de repos, tu l’as amplement méritée ma fille.

    -          -Oui Père", acquiesça Gabrielle avant de se retirer.

    L’Ange s’éloigna dans une démarche gracieuse où n’était perceptible que les frottements délicats du tissu de sa robe sur le sol. Elle se dirigea au fond de la pièce et ouvrit les portes à double battants qui gardaient l’entrée officielle de la Salle des Jugements. Aussitôt, un jeune homme fringant, aux longs cheveux blonds entra. Tout comme Gabrielle, il aurait pu aisément passer pour un humain. Un humain bien trop grand pourtant, avec ses membres allongés, sa silhouette élégante et gracieuse, son visage aux traits délicats et à la beauté irréelle. Aucun humain ne pouvait rivaliser avec tant de perfection. Mais aucun humain n’était comparable aux Anges. Gabrielle salua avec un profond respect son père qui lui sourit, alors que Raphaël se précipitait vers lui,  avec son habituelle démarche nerveuse.

    -          "-Père, le salua-t-il avec un hochement de tête sec et nerveux.

    -          -Mon fils, l’accueillit Dieu en se demandant d’où lui venait un tel empressement.

    -          -Je suis venu vous dissuader de faire ça, dit-il de but en blanc en s’arrêtant net devant lui, c’est excessivement dangereux !  Ce projet que vous avez évoqué avec moi, je ne peux que m’y opposer, vous prenez un risque énorme en vous rendant vous-même là-bas, seul et sans escorte pour vous protéger !"

    Dieu le laissa s’exprimer avec patience. Raphaël avait des qualités indéniables : c’était un médecin hors du commun, capable de guérir de la mort. Il était le responsable du passage, qui soignait les âmes des défunts avant de les envoyer dans l’autre monde. Dieu n’avait jamais douté de son choix le concernant. De tous les Aînés, il était le plus sérieux et le plus consciencieux. Peut-être un peu trop pour son propre bien, se dit Dieu en écoutant son fils lui rappeler les règles de sécurité de l’Ether.

    -          "-Une sortie hors de nos murs peut être dangereuse, vous pourriez nous être enlevé ! Plaida Raphaël.

    -          -Mon fils, intervînt alors Dieu après que l’archange eut fini de parler, je suis le Créateur de cet univers et de tous les autres, rien ne peut m’arriver. Je suis celui qui a inspiré la vie de tous les êtres qui peuplent nos mondes, ce que j’ai donné je peux aussi le reprendre. En fait mon garçon, le gourmanda-t-il avec bonhommie, je suis peut-être la créature la plus en sécurité dans ce monde. Et tu es bien trop intelligent pour l’ignorer, souffla-t-il les yeux réduits à deux fentes tandis qu’il observait son fils se décomposer sur place, maintenant dis-moi pourquoi tu ne souhaites pas que je parte. Je présume que ça n’a rien à voir avec la peur d’être abandonné, tu as passé l’âge désormais de te faire rassurer et border par ton vieux père !

    -          -Cela pourrait vous blesser, confessa Raphaël en vrillant son regard doré à ceux d’un bleu éclatant, je sais guérir bien des blessures, je sais même comment vaincre la mort, mais  malheureusement, il y a des choses qui ne sont pas en mon pouvoir. Elles ne l’ont jamais été, si vous êtes blessé, je ne saurai pas comment soulager votre peine Père, et c’est cela que je redoute.

    -          -Ainsi tu t’inquiètes pour moi ! conclut Dieu en passant son bras autour des épaules de son fils, mon garçon, Raphaël, ce sont les parents qui tremblent pour  les enfants et non l’inverse.

    -         - Chez les humains c’est le cas en effet, concéda l’Archange alors que son père et lui arpentait l’allée centrale recouverte d’un tapis d’or éclatant.

    -          -Et je dois dire que leur amour filial m’a toujours laissé admiratif, cette capacité à aimer leurs enfants c’est incontestablement de moi qu’ils la tiennent. S’il y a quelque chose de divin chez eux, c’est bien ça ! Sourit-il alors que son fils se dégageait de son étreinte.

    -          -Père, tenta-t-il de plaider à nouveau.

    -          -Non Raphaël, refusa catégoriquement Dieu en levant les mains pour le faire taire, je dois me rendre là-bas, je dois voir par moi-même ce qu’il s’y passe et ce qu’ils deviennent. Ce sont aussi mes enfants, Raphaël, reprit-il sur un ton plus froid pour empêcher l’Archange de protester, et j’aime chacun de mes enfants."

    Et sans plus de cérémonie, il s’éloigna de son fils qui dépité tendit la main vers lui pour l’empêcher de partir. Mais aussi dévoué soit Raphaël, il ne pourrait pas l’arrêter, il n’en avait jamais eu le pouvoir et Dieu sortit de la Salle des Jugements pour traverser les dédales de couloirs blancs. Il traversa cette forteresse dans un silence troublé seulement par le bruit de ses pas et chacun d’eux semblait répercuté en mille échos la nervosité qui s’emparait de lui. Et si Raphaël avait raison ? Et s’il ne revenait pas ? Dieu savait bien que cela était impossible, aucune des créatures qu’il avait créée ne pouvait lui ôter la vie.  Mais alors qu’il réalisait son plus vieux souhait, la peur parut s’immiscer dans son cœur, à mesure que ses pas s’accéléraient.

    Il inspira lentement alors qu’il arrivait au bord de l’Ether. A la sortie de son palais Dieu se retourna et regarda derrière lui. Tout semblait si calme, si serein.  Aucun des anges ne paraissaient veiller cette nuit, comme il l’avait souhaité.  Prenant une lente inspiration, Dieu ferma les yeux et pensa à l’endroit où il voulait aller. Le seul endroit qu’aucun de ses enfants, y compris les Aînés, n’avaient exploré. Car aucun d’eux ne pouvaient le trouver, il était le seul à le connaître.

     

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  • Commentaires

    1
    Marion
    Jeudi 23 Avril 2015 à 20:11

    je ne connaissais pas cette histoire Leelee!!!!

    Je suis trop contente de pouvoir découvrir du neuf !

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